Texte de la conférence animée le 15 février 2013 à l'Institut Français de Ouagadougou par Patrick Roger :
QU’EST CE Q’UN UN ARTISTE ?
Cette banale question nous suggère immédiatement
des réponses évidentes :
« Un artiste est quelqu’un qui a une
sensibilité particulière. C’est un passionné, une personne qui a un mode de
vie originale, parfois marginal, qui est doué, qui a du talent, etc. Lorsque
l’on interroge directement l’artiste non pas en lui demandant de se définir
lui-même, ce qui est un exercice difficile, mais sur ses motivations, autres
voies pour mieux le connaitre, on peut entendre les réponses comme « Créer pour
moi c’est vital » « Parce ce que je ne sais rien faire d’autre ».
« Mon art c’est ma vie ». « Pour moi c’est le moyen de lutter
contre la société », « Pour défendre mes idées » « Je créer pour ne
pas mourir » et bien d’autres raisons encore.
Tous ces éléments descriptifs sont certainement
justes et une longue addition pourrait sans nul doute, nous permettre d’établir
un profil général. Mais lorsque l’on souhaite aller plus loin dans la recherche
d’une définition plus précise, nous nous apercevons que de nombreux éléments
descriptifs qui nous semblaient particulièrement évident pour le qualifier peuvent
très bien être partagés par d’autres fonctions. Il parait impossible de
conclure que l’artiste n’a aucune spécificité tant les réactions qu’ils
provoquent sont multiples et puissantes, à la fois du côté du désir comme de
celui du rejet. Quel sont alors les éléments de sa personnalité que nous
pourrions retenir comme lui étant exclusifs ou du moins qui auraient des caractéristiques
particulièrement évidentes lorsqu’elles lui sont associées ? C’est cette
étude que je vous propose d’aborder avec moi aujourd’hui.
J’ai eu l’envie d‘aborder ce sujet d’abord pour des
raisons personnelles. Je suis un spectateur, directeur artistique,
psychanalyste et j’ai été artiste.
Mes différentes activités professionnelles
m’amènent tout naturellement à vouloir aborder ce sujet du point de vue de
l’étude de l’expérience humaine, c’est à dire de la psychologie. C’est le choix
de ce positionnement particulier qui m’a poussé à oser revisiter à mon modeste
niveau ce sujet aussi brillamment commenté par les plus grands penseurs,
philosophes, poètes de nombreuses cultures.
Dès à présent je tiens à vous rassurer que je me sens
incapable de réaliser de quelconques découvertes sur le mode du fonctionnement
psychologique de l’artiste. Le risque est donc faible de vous sentir assommer
sous le poids de lourds concepts intellectuels. Simplement, parfois, redire des
évidences permet de ramener de la lumière sur des idées qui avaient perdue de leur
netteté.
La formule alchimique qui fait d’une personne un
artiste restera toujours, malgré nos efforts, impénétrable, nous n’en percerons
pas le mystère, mais un mystère éclairé n’en est que plus beau.
Est’ il possible de parler de l’artiste de manière
générale ? Y a t’il des différences entre l’artiste de Paris, de Ouagadougou,
de Tokyo, de New-York ?
Evidement les conditions de création ne sont pas
les mêmes, les résultats non plus. De nombreux éléments sont différents,
certains sont d’ordre économique, culturel voir religieux. Les conditions
matérielles dans lesquelles vie et travail l’artiste sont inégalitaires selon
les pays ou entre les situations d’un même pays. Elles influencent la vie de
l’artiste, donc son œuvre. Le statut social que lui attribue la société dans
lequel il créer, reflète ses propres valeurs et amène l’artiste à être
considéré de manière différente. Les fonctions symboliques, les pouvoirs, comme
les interdits qu’une religion peut imposer dans certains cas, impliquent aussi des
adaptations spécifiques de l’artiste. Mais pour une personne véritablement
artiste, dont l’identité d’artiste est comme inscrit dans son ADN psychique, aucun
élément matériel extérieur ne peut le différencier radicalement d’un autre artiste.
Etre artiste n’est pas une qualité supplémentaire,
un don que l’on aurait reçu, une capacité que l’on aurait acquise, c’est un état
inné, intransformable.
Le seul élément qui selon moi peut différencier fondamentalement
un artiste d’une culture d’une autre, d’un pays d’un autre, c’est la présence
ou l’absence de liberté d’expression.
L’artiste non seulement à besoin de liberté pour
s’exprimer, mais il est une part de celle-ci, non pas une de ses représentations,
mais un élément de sa matière propre, il est liberté.
L’attitude première de l’artiste c’est de prendre
la liberté de remettre en cause ce qu’il voit, entend, pense. Il le fait, de sa
propre décision, en donnant par sa création un point de vue personnel, sans
besoin ou attente de demande de qui que ce soi.
Sans liberté d’expression, l’artiste ne peut pas
exister, sa restriction est simplement un véritable malheur pour lui. C’est
également une immense perte pour la société dans laquelle il vie. En restreignant
la liberté de création des artistes, la société s’handicape, diminue son propre
pouvoir de développement. Une société qui délibérément décide de restreindre
ses capacités d’intelligence, de pensée, de sentiment que représente la
création artistique, est une société malade qui n’est pas capable de vivre
pleinement avec toutes ses capacités. C’est une société qui par peur de ne pas
pouvoir vivre avec ses propres richesses, sa propre beauté, choisie littéralement
de s’amputer.
Une conséquence de manque de liberté d’expression est
l’autocensure qui est comme un étouffement de l’être. Une personne qui à des
difficultés à respirer ne va pas bien, se fatigue, il n’a plus tous ses moyens.
Son expression est faussée, porteuse d’un défaut essentiel, elle n’est plus
authentique. On dit souvent que l’artiste à besoin de contraintes pour créer,
mais ne confondons pas contraintes parfois plus ou moins recherchées et manque
de liberté.
Pour conclure je dirai que les artistes de tous
les pays et culture, dès l’instant ou ils ont la liberté de s’exprimer, on davantage
d’éléments de ressemblance que de différence, ce qui en permet une définition
suffisamment générale.
Notre question « Qu’est
ce qu’un artiste ?» continue de devoir être précisée afin de rester
maitrisable dans le temps réduit d’une conférence. Pour cela je souhaite faire
une différence entre l’individu que l’on considère « artiste » et
celui qui ne l’est qu’occasionnellement, « l’artiste amateur », ou
toute personne qui à un moment ou un autre à une action artistique. Je
retiendrais comme point de différence les notions de faire et celle d’être. Toute
personne, au quotidien et tout le long de sa vie à des attitudes créatrices,
que cela soit de manière consciente ou inconsciente mais l’acte créatif, le faire, ne reste qu’un élément parmi
d’autres de son existence. Les individus retenus ici en tant qu’artiste sont
pour moi ceux pour qui l’expression artistique est si nécessaire qu’ils ont
décidé d’une manière ou d’une autre d’y consacrer leur vie pour que cela
deviennent l’élément central de leur existence, c’est leur forme d’être.
Un
artiste est quelqu’un qui se met en mouvement
Lorsque l’on est bien au frais à l’ombre d’un
arbre, ou au chaud près d’un feu, on n’a pas envie de bouger, on se sent bien.
Lorsque l’on a suffisamment mangé ou bu ont est rassasié, on n’a plus d’envie
de rien. Quand notre environnement, notre état répond à nos attentes, nous
souhaitons que rien ne change.
L’artiste est une personne qui ne se sentant pas
suffisament bien dans la situation où il se trouve, n’étant pas assez satisfait
de ce qui lui proposé comme valeurs et pensées ou des formes des objets qui
l’entourent, décide de se mettre en mouvement. Il tente de trouver une
position, des idées, un environnent qui répondraient davantage à ce qu’il lui
semble être meilleur pour lui et pourquoi pas pour les autres aussi.
L’artiste est donc au départ un individu
insatisfait, à qui il manque quelque chose pour son équilibre, son mieux être.
Ce qui fait différence entre une personne qui créer d’abord par plaisir, l’amateur,
et l’artiste dit professionnel qui crée d’abord par nécessité c’est l’intensité
de son insatisfaction, sa permanence et la capacité d’y répondre. On peut
évidement prendre plaisir en créant par nécessité, simplement pour l’artiste ce
n’est généralement pas le premier élément déclencheur.
Enoncez comme cela, c’est sans doute brutal, cela
manque certainement de finesse et cela peut avoir une connotation négative. Car
nous avons tendance à associer insatisfaction à faiblesse comme si cela était
un défaut, en oubliant que la recherche de la satisfaction de nos pulsions compose
l’énergie motrice de notre existence. En un mot, rappelons-nous que nous sommes
tous des insatisfaits.
L’artiste montre un certain courage à se
confronter à son insatisfaction, bien que parfois cela soit pour lui une
obligation tellement le besoin d’y répondre est intense. Aussi lorsqu’il nous
répond qu’il est artiste « parce qu’il ne sait rien faire d’autre »
nous devrions traduire : « Parce c’est le meilleur moyen pour moi de
pouvoir allez mieux ». C’est donc un besoin intime et puissant qui déclenche
le fait de vouloir être artiste.
De quelles insatisfactions parlons-nous ? Elles
sont différentes pour chaque individu, elles fonts partie de notre histoire
personnelle : Ce qui est certains c’est que ces insatisfactions ont des
causes, elles sont souvent difficiles à connaître par la personne même, elles
sont enfouies, refoulées, elles sont le plus souvent devenues inconscientes. Ce
que l’on cache est toujours important pour soi, aussi ces insatisfactions
touchent l’essence même de la personne. Nous parlons ici, d’amour, de désir, de
plaisir, de connaissance et de reconnaissance de soi, comme de leurs opposés : l’absence
d’amour, le rejet, le doute, l’angoisse.
L’artiste
et l’enfance.
Il y a une période de la vie ou le besoin de
pouvoir gérer ses insatisfactions personnelles est essentiel, c’est l’enfance
dont les racines descendent jusqu’au premiers instants de la vie.
L’enfant se rend très vite compte qu’il ne peut
pas toujours avoir quand il le veut ce qu’il veut, en particulier les soins et
l’attention de la mère. Alors il trouve des moyens d’adaptations à la
différence entre ce qu’il souhaite et la réalité. Il imagine le monde extérieur
autrement que ce qu’il n’est, il en transforme sa représentation. Lorsque l’on
est dans un monde qui ne nous convient pas, qui ne répond pas suffisamment à
nos attentes on essaye de le changer et la première solution est de le rêver,
de l’imaginer, de le jouer. C’est ce qui rapproche l’artiste de l’enfant, comme
lui il tente de voir autrement la réalité avec l’espoir de la voir se
rapprocher de ses désirs.
L’artiste à la force d’imagination et de rêverie de
l’enfant simplement parce qu’a la différence de la plupart des adultes il
s’autorise non seulement à rêver mais il tente de donner forme à ses rêves.
L’artiste n’est plus un enfant mais il joue comme un enfant avec la force, la
volonté d’un adulte. Jouer est toujours une chose sérieuse que l’on soit enfant
ou adulte. On se prend au jeu, le jeu nous prend. Le temps du jeu, le rêve, le
fantasme devient réalité.
L’action de créer est pour l’artiste une tentative
de la réalisation de ses fantasmes.
Une des préoccupations fondamentales de l’enfant
c’est d’être aimé, ne pas être rejeté afin d’être protégé et nourri par la
mère. Pour cela l’enfant pense qu’un des moyens pour se rassurer face à cette
angoisse est d’être autrement que ce qu’il pense être. C'est-à-dire qu’il adapte
son caractère, sa personnalité afin de correspondre à ce qu’il croit être
l’enfant idéal. Il se créer un personnage, un masque pour être en contact avec
le monde extérieur. L’enfant fait des cadeaux, créer des objets, offre des
attitudes, donne des représentations de lui pour faire plaisir dans l’objectif
de s’assurer et de consolider les liens d’amour qui le lient à son
environnement. Dans certaines conditions il peut choisir l’attitude inverse en
faisant l’opposée de ce que l’on attend de lui dans une attitude de
provocation, dans l’objectif de faire réagir afin que l’on s’occupe de lui. Il est
silencieux lorsque l’on souhaite l’entendre s’exprimer, lent lorsqu’il faut
allez vite. Le fait même de se faire punir est pour lui une preuve de l’intérêt
qu’on lui porte.
Nous retrouvons toutes ces actions de l’enfant chez
l’artiste car ils partagent tous les deux les mêmes objectifs : celui
d’être reconnu et aimé.
L’artiste incarne une autre identité, ou un rôle.
Il expérimente les ressemblances et les différences entre ces personnages et
lui. Il joue et rejoue des situations qui lui permettent, pendant les instants
de représentation, de régénérer des émotions et des sentiments, ou d’en
découvrir d’autres, voir en combattre certains.
L’artiste se projette dans un personnage, une
œuvre qu’il crée, afin de se protéger, de se mettre à l’abri, de réunir en un
seul objet des éléments de sa personnalité qui peuvent demander à être
solidarisé.
L’artiste pensant que les qualités de sa
personnalité seules ne sont pas suffisantes pour se faire aimer, crée quelque chose
qui est comme une continuation de son être, son œuvre artistique. L’artiste par
ses attitudes, ses créations peut rechercher la provocation, heurter les
esprits afin que l’on s’occupe de lui, que l’on se positionne face à lui. Il
vit par le rejet qu’il provoque.
L’artiste répète inlassablement les mêmes gestes,
les mêmes exercices dans l’espoir de maîtriser davantage ce qui est à l’extérieur
de lui. Maitriser une technique, une œuvre veut bien dire en devenir le maître,
cela le rassure et cela le valorise. Contrôler le monde extérieur est une
manière possible de maitriser son monde interne.
Sa création peut être également pour lui une
tentative de revivre ce qui a été des instants de plaisir. C’est aussi le moyen
d’essayer de consolider ce qu’il y a de fragile en lui.
L’ensemble de ses attitudes, sont le plus souvent
menées de manière inconsciente dans le sens ou ce n’est pas fait délibérément.
Il le fait sans savoir pourquoi il le fait, plus précisément, nous pourrions
dire qu’il ne sait plus pourquoi il le fait. Comme l’enfant, comme l’artiste,
chacun d’entre nous employons de manière inconsciente, plus ou moins ces mêmes
stratégies. La différence qui nous sépare de l’artiste c’est que lui à décidé de
faire de ces tentatives de résolution de ces problématiques personnelles des
œuvres d’art.
Si l’artiste à un lien si fort avec l’enfance,
c’est qu’il s’est passé pour lui quelque chose, ou qu’il y a eu absence de
quelque chose pendant cette période de sa vie et cela est si fort qu’il à
besoin de tenter de réparer ce traumatisme.
C’est donc un problème de rapport avec soi-même
qui est le moteur de la décision d’être artiste. C’est une tentative de réparation,
de réadaptation de son monde interne (le monde de ses pensées) face à la
réalité. Sa présentation au public n’en est que la conséquence.
Est’ il possible d’être artiste uniquement pour
des raisons matérielles, morales ou sociales ? Ce que nous pourrions définir
comme des raisons externes.
Il est bien sur impossible de connaitre
véritablement les motivations réelles de départ d’un engagement personnel, ce
qui est revendiqué n’est pas toujours le vrai et ce que l’on croit deviner,
rarement le réel. Ce qui est important c’est la manière dont on réalise son
acte. Ce ne sont pas les motivations de départ qui font l’artiste c’est la forme
de réalisation de son expression.
L’outil premier de la création est l’artiste
lui-même. Il est donc impossible de créer sans impliquer son être. Etre artiste
uniquement pour des raisons extérieures n’est donc pas possible. Ce qui est
possible par contre c’est que des éléments de reconnaissances extérieurs,
argent, puissance soient recherchés comme moyen de compensation de traumatismes
d’origine infantile (enfance).
Une autre forme de tentative de vivre
extérieurement l’acte d’être artiste est de copier et non de créer. Faire le
choix de copier l’œuvre d’un autre, voir de la nature se présente comme un
moyen de ne pas prendre le risque de réaliser quelque chose qui n’aurait pas
les qualités recherchées, se serait de tenter d’éviter l’échec.
Réaliser quelque chose sans essayer d’y apporter
la moindre dimension de sa vision personnelle, cela revient à vouloir
s’effacer, ne laisser aucune trace de sa présence. C’est pour un artiste une
démarche destructrice, car en ne reconnaissant pas sa capacité d’apporter
quelque chose de nouveau, c’est nier au bout du compte sa capacité de vivre en
tant que personne unique.
Une
fonction d’articulation
Ce qui se voit et qui peut se ressentir facilement
c’est le mouvement et dans le terme artiste comme dans art, nous trouvons une
racine commune avec le mot articulation.
Une articulation participe au mouvement, donne de l’ampleur, apporte force et
résistance, elle permet une démultiplication de possibilité de mouvement
Nous pensons que nous pouvons reconnaitre en
l’artiste une fonction d’articulation et c’est sans doute une de ses plus
importantes qualités. Il se trouve à l’intersection de plusieurs mondes et par
son action, il les met en mouvement les uns avec les autres comme ferait une
articulation avec différentes parties du corps humain. Qui sont ces mondes ?
Pour quelle raison se trouvent-t’ils associés entre eux ? Et pourquoi l’action
de l’artiste est synonyme d’articulation ? C’est ce que je vais développer
maintenant.
Commençons par définir la notion de monde. Un
monde est une somme d‘éléments qui réunies ensemble, forment une structure
autonome.
En ce qui concerne l’artiste et son environnement nous
avons quatre mondes : le monde interne, le monde externe, le monde de son œuvre
et enfin le monde du public.
Nous avons défini ce qu’était le monde
interne de l’artiste; rappelons-le, c’est l’ensemble des éléments
psychiques (son esprit) qui animent sa pensée et qui sont notamment majoritairement
issu du vécu de son enfance.
Le deuxième monde, le monde externe est l’espace
matériel et psychique dans lequel vie l’artiste. C’est la société en général,
les personnes proches de lui, le milieu artistique dans lequel il peut se
trouver, la culture dans laquelle il se situe avec ses pensées, ses valeurs,
ses idées et croyances.
Le troisième monde est celui de son œuvre. L’œuvre
constitue un monde en elle-même. Une fois crée elle à une vie autonome. Ni
l’artiste ni la société ne peuvent contrôler la manière dont elle est perçue. Le
public lui-même ne peut pas s’assurer de sa complète compréhension. Personne ne
peut présager de la place, de la valeur quelle pourra prendre dans l’avenir. L’œuvre
est un corps sensible dont les réactions sont irrationnelles.
Le quatrième et dernier monde de cette galaxie
autour de l’artiste c’est le monde du public. De manière individuelle ou groupale,
le public a lui aussi son propre fonctionnement. Il peut toujours réagir de
manière imprévisible, même si il existe des techniques de manipulation de sa
perception.
L’artiste se trouve en partie à la fois dans
chacun de ces mondes, tout en essayant de n’être dans aucun complètement. Il mène
une introspection de son monde interne pour en émerger par le monde de son
œuvre. Celle-ci, comme un pont, le met en contact avec le monde externe, dont
il se sert comme base de référence et de réaction pour se présenter au monde du
public.
L’artiste est influencé par chacun de ces quatre
mondes, comme chacun d’entre eux l’influence également. Le contact entre ces
mondes peut produire du conflit, du rejet, de l’incompréhension, du désintérêt
comme de l’accord, de la complémentarité de la fusion avec chacun d’eux. Toutes
ces équations possibles représentent un immense enrichissement de l’un par
l’autre. C’est en cela que l’artiste est si important pour l’histoire de la
civilisation. En tant qu’initiateur de ces rencontres, il est le héros possible
de la découverte de trésors partagés.
C’est un rôle très difficile que tient l’artiste, cela
demande une grande dépense d’énergie pour faire bouger chacun de ces mondes. Il
faut de la volonté, de la persévérance, de la maitrise et du renoncement. Cela
ne marche pas à chaque fois, le plus souvent l’artiste ne réussie à articuler
que deux mondes entre eux. Il parvient par exemple à faire se rencontrer son
monde interne avec le monde de son œuvre mais sans que celle–ci ne rencontre le
monde du public. Ou que le monde externe adhère à son œuvre mais que l’artiste ne
reconnait pas comme reflétant pleinement son monde interne.
C’est la forme plus ou moins incomplète de
l’articulation de ces quatre mondes ensemble qui crée une des variantes du
succès ou de l’échec de l’artiste.
Rare sont les artistes qui réussissent à faire
mettre en un même mouvement ces quatre mondes. Cette union complète, cette
harmonie dans le mouvement crée comme une conjonction exceptionnelle de
dimension universelle. C’est à ce moment que peut émerger un chef-d’œuvre.
Cette position de l’artiste entre les mondes
représente également une fonction symbolique, dans le sens que l’artiste est un
élément de rassemblement de ces mondes différents. Il est le porteur du message,
la démonstration que le lien entre les mondes est possible et que cela peut
aboutir à la production de merveilles. Ainsi, un vécu, un sentiment individuel
peut être partagé par des milliers de personnes au delà de toute différence.
Une œuvre peut toucher la société au point d’en transformer certains de ses
aspects.
De plus en plus souvent la société emploi
l’artiste comme médiateur social, que cela soit dans des espaces urbains
difficiles, à l’école, dans le monde de l’entreprise. A chaque fois c’est une
remise en contact, une réparation du lien entre deux mondes qui lui demandé. Si
ces actions donnent très souvent de bons résultats, c’est que ces missions reposent
sur cette fonction symbolique de l’artiste. Elle est particulièrement efficace
car l’artiste fait appelle à ce qui est déjà présent dans l’âme humaine, aux vécus
inscrits dans le monde interne des personnes impliquées dans ces situations
spécifiques. Il ne les touche pas de l’extérieur par un discours idéologique ou
religieux mais de l’intérieur par le ressentie intime qu’il fait émerger chez
chaque personne. Les individus qui sont impliqués dans ces actions animées par
l’artiste ne reçoivent pas un message de réconciliation, il trouve en eux-mêmes
les raisons et les moyens de celle-ci.
Il y a encore un positionnement qui est spécifique
à l’artiste : Il se situe entre l’invisible et le visible.
Il travail l’invisible pour le rendre visible. Il
donne forme à des sentiments, des sensations, des émotions, des pensées qui
n’étaient pas encore présentes. Il déchire des voiles, casse des murs qui
masquaient la réalité de certaines choses. Ces interventions ne sont pas très
éloignées de certaines fonctions spirituelles, voir ésotérique habituellement
assurées par des structures traditionnelles (religions, superstitions) En cela certains
peuvent être amené à reconnaitre chez l’artiste la présence d’une forme de pouvoir
mystique. Ce qui peut expliquer la place particulière que peut prendre
l’expression artistique dans différents rituels.
Pour l’artiste Il arrive qu’une inspiration ou un
succès, comme un échec ne puisse pas être expliqué, nous sommes bien dans ce
cas dans une dimension irrationnelle.
Les
attitudes de l’artiste
L’artiste ne peut pas avoir une position statique,
avec tous les mouvements qu’il initie autour de lui. Il doit être à la fois
dedans comme dehors, au centre comme à la marge, en profondeur comme à la
surface. Il lui faut se retourner sur lui–même tout en restant ouvert vers
l’extérieur. Il doit être ouvert à de possibles sources d’inspirations comme
hermétique à des influences dangereuses pour son originalité. Etre artiste
c’est avoir la capacité de pouvoir se positionner différemment selon ce qui se
déclenche.
Ce n’est pas seulement une souplesse de mouvement
et de déplacement par la pensée (psychique) qui lui nécessaire, il faut qu’il
ait également une plasticité de caractère.
Il doit faire et laisser faire, avoir confiance et
douter, se préoccuper et négliger, regarder et ne pas voir, aller chercher et
attendre, tenir et lâcher, acquérir et perdre.
Dans la plupart de ses actions comme dans ses
attitudes et ses sentiments il doit pouvoir être ambivalent. C’est une
multitude d’informations et de ressenties que l’artiste doit intégrer et gérer.
Ne pouvant rentrer dans le détail de ces multiples
mouvements et prises de positions possibles. Je ne m’arrêterais que quelques
instants sur une seule des ces situations, mais une des plus importantes, c’est
ce qui se déroule entre le monde interne de l’artiste et le monde externe, son
environnement.
Décrions de manière très schématique ce qui se
passe. L’artiste part d’un ressentie interne, d’une pulsion et va à l’extérieure
chercher les bases, les éléments qui pourront servir à la mise en forme, à la
traduction de son sentiment. Mais dans un deuxième temps, comme en réaction, les
éléments choisis viennent à leur tour par leur propre contenu influencer, transformer
la pulsion initiale de l’artiste. Pour être plus concret prenons un exemple. Un
comédien pour jouer un rôle part de son expérience personnelle, de son vécu et « rentre »
dans la peau du personnage. Sa manière de jouer ce rôle dépend de son histoire
propre. Mais à son tour l’expérience de l’interprétation de ce personnage aux
caractères particuliers vient lui-même l’influencer. Un fonctionnement en forme
de boucle s’installe car l’un vient influencer l’autre qui à son tour le
modifie. Le temps du jeu théâtral l’acteur est à la fois lui-même et un autre.
Cette situation n’est pas réservée aux comédiens
Tout artiste dès l’instant ou il « investie son œuvre » pendant
l’acte de création ou d’interprétation fait corps avec celle-ci, il l’a vie de
l’intérieur tout en restant en contact avec le monde interne de ses propres
émotions. Il est à fois son œuvre et lui-même.
Nous voyons tout de suite le risque de trouble de
la personnalité que cela peut engendrer parfois cher l’acteur, notamment
lorsque le rôle interprété réactive en lui des ressentis intimes
particulièrement puissants. C’est sa technique et toutes les conventions du jeu
théâtral qui le protège de ce risque. Quoi qu’il en soit et c’est certainement
une des motivations inconscientes les plus importantes de l’artiste, après
chaque création il ne reviendra jamais à lui-même à l’identique.
Enfin, il parait difficilement envisageable que
l’artiste soit absolument hermétique à la qualité de réception de son travail.
Il est donc influencé, d’une manière ou d’une autre par le public. Là encore
c’est une attitude délicate car refuser cette influence pourrait lui faire perdre
des moyens possibles de compréhension de son propre travail, mais y être trop
sensible, trop ouvert, présenterait le risque de voir la force de son originalité
diminuée.
Etre bon ou mauvais artiste, qui décide ? Comment
ce fait le jugement ? Bien entendu tout dépend de la grille de valeur qui
est choisie comme référence. Le premier juge est l’artiste lui-même. Mais sa capacité
de gérer l’ensemble des paramètres qu’il rencontre est très certainement une
des qualités majeures qu’il doit avoir. En tous les cas, c’est celle qui lui
permet d’inscrire son œuvre dans la durée.
Pourquoi certains artistes arrêtent-il à un
moment de créer, donc de ne plus être artiste. Un artiste qui ne créer pas
ou du moins essaye, ne peut plus être reconnu comme tel. Vivre en artiste ne
signifie pas l’être.
Une des raisons possible de cet arrêt est que cela
n’est plus indispensable à son existence, ce qui correspondrait à
l’expression : « n’avoir plus rien à dire ». Ce n’est pas qu’il
n’a plus rien à dire mais il juge que ce qu’il peut dire n’est plus
suffisamment important pour lui pour que cela soit exprimer. Une autre raison possible
est que cela devient trop difficile à vivre, c’est trop douloureux et ce qu’il
retire de son acte créatif n’arrive plus à compenser ce que cela lui coûte en
forces engagées. Lorsque l’artiste commence à compter son implication, il bon
qu’il s’arrête.
Je vous propose pour conclure d’employer brièvement
une dernière méthode, la méthode comparative afin de juger que ce que nous
avons pu repérer comme spécificités identifiantes de l’artiste peuvent bien être
retenues comme étant exclusives. J’ai choisi le sportif comme individu de
référence car je pense que nous pouvons le considérer en notre époque contemporaine
comme l’identité qui peut apparaitre la plus proche de celle de l’artiste.
Le sport est devenu spectacle, sa
présentation est de plus en plus scénarisé, un certain esthétique y est parfois
recherché, leurs commentaires sont souvent dramatisés. Les meilleurs sportifs sont
de « véritables artistes » tant leurs gestes dans leurs précisions
atteignent la perfection,. Des termes identiques sont employés pour décrire les
actions des sportifs comme des artistes : Ils s’expriment par leur pratique, ils peuvent être inspirés dans leurs gestes, ils ont un style. La beauté du geste peut être une
de leurs préoccupations, et nombreux font rêver leurs publics.
Enfin, le sportif est reconnu
comme créateur. L’alpiniste donne son nom à la voie d’escalade qu’il vient
d’ouvrir pour la première fois.
Je ne donnerai pas la liste
complète des nombreux sentiments et émotions que ce partagent l’un et l’autre.
Les plus évidents sont : la passion, la volonté de réussir, l’esprit de
sacrifice, le besoin de se surpasser, d’être reconnu.
Alors si tant d’éléments rendent flous les limites
entre le sportif et l’artiste, résumons notre exercice de définition en une seule
question.
En quoi sauter en parachute n’est pas un acte artistiquee ?
La réponse que je propose est :
Parce ce que sauter en parachute n’est
pas une tentative d’expression d’une nouvelle vision du monde.
C’est une possibilité de nouvelles
sensations, d’émotions, de nouveau rapport physique au monde. Cela permet de
voir le monde d’un autre point de vue, mais cela ne rajoute pas au monde en
tant que globalité de la vie, une manière supplémentaire d’exister.
L’artiste est le créateur de
développements de la perception du monde. C’est la matière même du monde qui
est modifiée par la nouvelle représentation qu’il en fait. Il est impossible de
définir préalablement cette nouvelle vision car en émergeant elle se créer elle
même. Le sportif révèle ce qui préexistait dans le monde, il ne lui rajoute
rien. L’artiste enrichi le monde, il nous donne à voir plus que nous ne
pourrions voir sans lui.
Cette conclusion me semble pouvoir
être valide pour aujourd’hui, en tous les cas elle peut être discutée. Mais
sera t’elle encore valable demain ? Dans l’avenir comment répondrons-nous
à la question « Qu’est qu’un artiste ? »
Le concept de l’artiste est assez
récent dans l’histoire des sociétés occidentales (je suis ignorant en ce qui
concerne les cultures Africaines). Il est véritablement apparu à partir de l’époque
de la renaissance, avant il partageait sa définition avec celle de l’artisan.
Aussi si il est apparu, Nous pouvons penser qu’il puisse disparaitre un jour ou
du moins sans aucun doute évoluer.
Dans quelle direction
pourrions-nous imaginer ces transformations ? Du côté d’un développement
encore plus grand de ses moyens et formes d’expressions ? Mais jusqu’ou
repousser ces limites ? Du côté de l’utilité, ce qui serait une sorte de
retour à sa source initiale ? Et si cette période de liberté totale de
l’artiste n’était qu’une parenthèse ? Et si l’artiste se retrouvait du côté du
médical, une sorte de docteur de l’énergie psychique de l’individu. Nous
connaissons les fameux clowns qui vont dans les hôpitaux pour soutenir les malades
et particulièrement les enfants, cela est très efficace. Du côté du religieux alors
peut-être ? Mais là encore se serait un retour à des liens des plus anciens.
Vers le politique alors ? Nous le voyons déjà. Et si il devenait une arme
de combat dans les armées du futur ?
Si on peut penser que l’art sera
toujours indispensable à la vie humaine, auront nous encore besoin de l’artiste
pour cela ?
L’artiste est une femme, un homme qui a décidé de
se mettre en mouvement en refusant ce qui lui était proposé comme vision du
monde. Alors nous pouvons espérer que l’artiste continuera à être dans le
mouvement et ne fera pas que subir ces évolutions futures, mais qu’il en sera
aussi l’acteur.